Ecobilan d’agents énergétiques: Évaluation écologique de biocarburants (rapport final) 
                           Rainer Zah, Heinz Böni, Marcel Gauch, Roland Hischier, Martin Lehmann, Patrick Wäger
                           
                             Document de synthèse
                             La raréfaction  des sources d’énergie fossiles et la question du réchauffement climatique ont  cristallisé l’attention de l’opinion publique suisse et des représentants de  l’industrie autour de l’utilisation des sources d’énergie renouvelables. A  l’heure actuelle, les carburants produits à partir de biomasse, également  connus sous le nom de biocarburants, constituent la source d’énergie  renouvelable la plus répandue et peuvent, tout au moins à court et moyen terme,  contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre et notre dépendance  face aux énergies fossiles.
                             Sensible à cette  situation, la Suisse  compte bientôt prendre des décisions politiques importantes afin de proposer  des exonérations fiscales pour l’utilisation de carburants renouvelables plutôt  que le diesel ou l’essence.
                             Bien que les  biocarburants soient issus de matières premières renouvelables, leur culture et  leur transformation peuvent causer toute une série d'atteintes à  l'environnement, allant de la surfertilisation et de l'acidification du sol  agricole, à la perte de la diversité des espèces du fait du brûlis des forêts  pluviales. En outre, le développement de la production énergétique agricole est  en concurrence avec d'autres formes d'utilisation du sol, telles que la  production de denrées alimentaires ou la conservation de zones naturelles. On  ne peut donc procéder dresser un écobilan global des biocarburants avec pour  seuls indicateurs l'efficacité énergétique et les réductions des gaz à effets  de serre.
                             La présente étude  est consacrée à l’évaluation des effets sur l’environnement de l’ensemble de la  chaîne de production des carburants produits à partir de biomasse utilisés en  Suisse. Elle fournit d’une part une analyse orientée vers l’action des effets  possibles des biocarburants sur l’environnement et elle établit d’autre part un  écobilan global des différents biocarburants qui peut être utilisé comme base  pour la détermination de leur exemption de l’impôt sur les huiles minérales.  Par ailleurs, elle compare aussi les effets de l’utilisation des carburants  avec ceux d’autres formes de l’utilisation des bioénergies telles que  l’électricité et la chaleur.
                             Méthodologie
                             Afin de pouvoir  évaluer le plus précisément possible les incidences des biocarburants sur  l’environnement, nous avons utilisé la méthode de l’écobilan. Nous avons donc  étudié simultanément la quantité d’énergie et de ressources nécessaires à la  réalisation d’un exercice défini (par exemple, remplir un réservoir d’1 MJ  d’énergie dans une pompe à essence suisse) et les rejets d’émissions de  substances nocives qui y sont liés. Les données nécessaires à l’étude ont été  collectées dans le cadre d’un projet préalable puis complétées par des  informations supplémentaires issues de la banque de données suisse  d’inventaires environnementaux (ecoinvent 1.3). D'une part, nous avons  déterminé les effets sur l’environnement à l'aide d'indicateurs orientés vers  l'action qui décrivent les incidences environnementales immédiates et qui  permettent d’élaborer des mesures potentielles. D’autre part, nous avons dressé  un écobilan global, en pondérant et en agrégeant les effets des diverses  substances nocives afin d'en évaluer les effets combinés sur l'environnement  (voir schéma 1). Il faut noter que les méthodes d'évaluation agrégées (ici MSE  06 et eco indicator 99) précèdent la pondération des différentes incidences  environnementales (par exemple, les gaz à effet de serre par rapport à la  surfertilisation). Pour le choix d’une politique, il est donc essentiel de ne  pas se fonder uniquement sur la présente étude, mais de tenir compte également,  au cas par cas, des indicateurs individuels fondamentaux orientés vers  l’action.
                             Nous avons  comparé les sources d'énergie renouvelables produites en Suisse et à l'étranger  en nous limitantà celles utilisées dans la Confédération.   L'évaluation suit tout le cycle de vie (elle va «du berceau  au cercueil»): toutes les incidences environnementales pertinentes, depuis  l'exploitation de la biomasse au rejet de déchets biogènes en passant par  l'utilisation énergétique, ont ainsi été considérées. Nous avons choisi l'année  de référence 2004, tout en intégrant le cas échéant des données plus anciennes  ou plus récentes.
                             Pour les matières  premières renouvelables, il est essentiel de considérer l’existence des  sous-produits: lors de la fabrication de certains biocarburants visés par la  présente étude, des produits dérivés peuvent en effet être créés. Il faut donc  ventiler les conséquences environnementales entre les différents éléments.  Ainsi, les intrants en matière première et les incidences sur l’environnement  de la pression du colza doivent être répartis entre huile de colza et tourteau  de colza. Lors des précédents recueils de données, cette répartition s’opérait  généralement à l’aune de critères économiques: les émissions étaient donc  distribuées par produit, selon leur part dans le revenu total.
                             Limites de nos  travaux
                             La méthode  choisie autorise une comparaison globale des sources de bioénergie tout au long  de la chaîne de production. Pourtant, l’interprétation de ces résultats se  heurte encore à certaines limites:
                             
                               - La méthode de l’écobilan analyse les       conséquences environnementales des flux de matières premières et       d’utilisation d’énergie. Aucune interprétation portant sur les facteurs       économiques, comme les coûts, ou sociaux, comme le travail des enfants, ne       peut cependant être formulée.
- Bien que la méthode de l’écobilan       soit très complète, certaines incidences sur l’environnement ne sont pas       envisagées, ou seulement partiellement. Ainsi, les conséquences de       l’utilisation de l’eau ne sont pas évaluées, car largement dépendantes des       conditions locales (niveau des précipitations et des nappes phréatiques       etc.). L’évaluation des pertes en biodiversité reste également encore       parcellaire car les données manquent, notamment pour les écosystèmes       tropicaux.
- Dans le cadre de la démarche choisie,       l’écobilan, seuls sont étudiés les effets environnementaux primaires de la       chaîne de production: la consommation énergétique et l’émission de       substances nocives lors de la culture du colza destiné à la production       d’énergie par exemple. Les incidences secondaires ne sont en revanche pas       envisagées. (Auparavant, les surfaces exploitées pour ce type de colza       servaient à la production de denrées alimentaires qui doivent désormais       être importées. Cela induit naturellement une recrudescence des transports       et de fait, davantage d’effets nocifs sur l’environnement).
- Pour la biomasse provenant de       cultures (céréales, pommes de terre, etc.), il n’est pas opéré de       distinction entre les excédents de récoltes et la biomasse cultivée à des       fins de production de carburant. Il n’est pas distingué non plus si les       surfaces cultivées l’étaient déjà ou si elles étaient auparavant à       l’abandon ou en jachère, il n’est donc pas tenu compte non plus des effets       également différents sur l’environnement d’un changement possible       d’affectation des sols.
- Les résultats présentés reposent       essentiellement sur les chaînes de processus existantes (données de 2004),       sans projections du futur. Des perspectives quant à l’évolution future       sont fournies par les analyses de sensibilité et les potentiels       d’optimisation, une approche qui tient compte de la méthode ici utilisée.
- Les résultats de la présente analyse       demandent un réexamen ultérieur, car ils ne sont pas «gravés dans la       pierre»; de nombreuses allocations sont en effet calculées à partir de       chiffres de vente, qui reflètent la dynamique des marchés.
- Les chaînes de processus analysées ne       constituent qu’une partie de tous les processus de fabrication; il serait       possible d’en analyser de nombreuses autres. Les chaînes ont été       sélectionnées pour leur pertinence pour la situation du moment en Suisse.
- Les données sur lesquels se fonde le       présent rapport sont des moyennes des pays et zones de production (Suisse,       Europe, Brésil, Etats-Unis, etc.); elles s’appliquent à toute la Suisse pour ce qui est       de l’utilisation. Il n’est donc pas possible d’appliquer tels quels les       résultats à des régions ou des exploitations déterminées. Les effets sur       l’environnement d’une situation ou d’une exploitation données peuvent en       effet s’écarter fortement de la moyenne.
- La présente étude exclut la question       des conséquences d’un passage aux carburants renouvelables, sur       l’environnement par exemple, dans le cas de cultures intensives à des fins       de production d'énergie qui entraîneraient une intensification de la       production agricole, ainsi que celle d’un rebond. Un tel rebond pourrait       prendre la forme d’une augmentation de la consommation des carburants       après le lancement de biocarburants, car les consommateurs, qui pourraient       considérer ceux-ci comme respectueux de l’environnement, ne verraient pas       de problème à en consommer plus.
Où se situent les  atteintes à l’environnement le long de la chaîne de production de valeur?
                             L’Illustration 2  présente la répartition des émissions de gaz à effet de serre le long de  différentes filières de production de bioéthanol, de biodiesel, de méthanol et  de méthane. Il apparaît ainsi que des économies allant jusqu’à 80 % sont  possibles par rapport aux carburants fossiles selon le biocarburant et la  filière de production. Mais de grandes différences sont possibles le long de  celle-ci, en effet:
                             
                               - La majorité des gaz à effet de serre       sont émis par l’agriculture (Illustration 2, vert): utilisation de       machines, de fertilisants et/ou de pesticides, mais aussi émissions       directes (oxyde azoteux par exemple). Mais la proportion de ces émissions       agricoles varie fortement en fonction de différents facteurs. Les       principaux sont les rendements par surfaces (élevés pour la betterave       sucrière CH et la canne à sucre BR, faible pour la pomme de terre CH et le       seigle RER), l’utilisation d’oxyde azoteux (dont les émissions comptent       pour 30 % des émissions pour le maïs US) et le défrichage par brûlis de       forêt pluviale (concerne l’huile de palme MY et l’huile de soja BR). Les       différences constatées d’une région à l’autre en ce qui concerne       l’intensité de la déforestation de la forêt pluviale peuvent influer sur       le bilan global. Mais le facteur essentiel est le mode de culture des       plantes destinées à des fins énergétiques. La remarque vaut non seulement       pour les gaz à effet de serre émis, mais aussi pour la plupart des effets       sur l’environnement des biocarburants. A la différence des produits       agricoles, les déchets, résidus et sous-produits ne consomment aucune       énergie pour être produits, ce qui a un effet très positif sur le bilan       global. Ainsi, les émissions de gaz à effet de serre les plus faibles sont       celles produites par la consommation de biodiesel fabriqué avec des huiles       comestibles usagées ou du méthane provenant de la fermentation.
- La production de carburants       (Illustration 2, jaune) induit en moyenne des émissions de gaz à effet de       serre nettement inférieures à celles occasionnées par la production       agricole. Ces émissions sont particulièrement faibles pour l’extraction       d’huile et l’estérification destinées à la fabrication de biodiesel. Elles       sont très variables lors de la fermentation de bioéthanol, selon que les       agents énergétiques utilisés sont d’origine fossile (bioéthanol issu du       maïs, US) ou qu’ils sont des sousproduits agricoles (bagasse issue de la       canne à sucre, BR). Elles sont les plus élevées dans le processus de       production du méthane biogène, en raison du méthane et de l’oxyde azoteux       qui résultent de la fermentation secondaire des résidus fermentés et de la       perte de méthane que comporte la fabrication de biogaz à un volume de 96 %       de méthane. Mais l’Illustration 2 montre aussi qu’il est possible de       diminuer fortement ces émissions par des mesures ciblées, par exemple en       couvrant les contenants dans lesquels la fermentation secondaire se       produit. Cette couverture est techniquement au point en 2007 déjà.
- Le plus souvent, le transport de       carburant (Illustration 2, orange) du pays producteur aux stations-       service suisses équivaut à bien moins que 10 % du total des émissions. Son       rôle en termes d’incidence écologique n’est donc guère significatif, pour       autant qu’il soit fait par bateau-citerne ou pipeline.
- L’utilisation du véhicule       (Illustration 2, gris foncé) est neutre du point de vue CO2 pour ce qui       est la présente comparaison des biocarburants. En effet, le CO2 libéré par       la croissance des plantes a été absorbé sur une brève période.
- La construction et l’entretien des       routes et des véhicules (Illustration 2, gris clair) sont également       intégrées dans la présente étude, avec un véhicule et une utilisation       annuelle identiques pour tous les cas, et donc une proportion identique       elle aussi. La proportion de ces émissions peut dépasser la moitié du       total des gaz émis par les carburants alternatifs très efficaces comme le       biodiesel résultat d’huiles usagées, de bioéthanol de canne à sucre ou de       méthane de lisier.
Illustration 3  présente la charge totale qui pèse sur l’environnement, telle qu’elle résulte  des calculs faits selon la méthode de la saturation écologique (MSE 06). Si les  effets sur l’environnement de l’utilisation d’un véhicule (gris foncé) restent  bien plus importants avec un carburant fossile qu’avec un biocarburant, les  charges parfois très lourdes que la production agricole fait peser sur  l’environnement peuvent compenser les effets dus à l’utilisation. Ces charges  sont essentiellement, dans l’agriculture suisse ou européenne, l’acidification  des sols et la surfertilisation; dans l’agriculture tropicale, ce sont la  diminution de la biodiversité, la pollution atmosphérique due au défrichage par  brûlis et la toxicité de pesticides – dont certains sont interdits en Suisse.  La très lourde incidence environnementale de l’utilisation de pommes de terre  suisses s’explique par la forte pondération de la perte de substances nutritives,  celle du seigle européen par le faible rendement de cette céréale en moyenne  européenne.
                             Faut-il importer  les biocarburants?
                             Qu’elle soit  mesurée à l’aune des émissions de gaz à effet de serre (Illustration 2) ou de  la charge environnementale globale (Illustration 3), la part de la charge  environnementale due au transport des biocarburants -depuis les pays  d’outre-mer jusqu’aux stations-service suisses- est faible, et certains  biocarburants, le bioéthanol issu de canne à sucre brésilienne notamment, présentent  des évaluations aussi bonnes que les meilleurs résultats des biocarburants du  pays. La raison en est que les moyens de transport utilisés, comme les  bateaux-citernes et les pipelines, sont choisis pour être peu gourmands en  énergie et pour leurs faibles émissions polluantes.
                             On est néanmoins  en droit de s’interroger sur la pertinence à long terme de grandes importations  de biocarburants. D’abord parce que ceux-ci pourraient être utilisés dans les  pays où ils sont produits, pour y limiter la dépendance aux importations de  pétrole, ensuite parce que la forte demande induit une extension rapide des  surfaces cultivées pour les produire. Cette augmentation provoque à son tour  une hausse des prix de l’alimentation et d’une pression accrue sur les forêts pluviales.  Or dès lors qu’il y a défrichement par brûlis, le bilan de l’émission des gaz à  effet de serre tout comme l’écobilan global se dégradent fortement, ce qui  remet en question l’importation.
                             Quels sont les  biocarburants les moins nuisibles à l’environnement?
                             Une évaluation  environnementale intégrée consiste à synthétiser au mieux une série de  différents indicateurs environnementaux. Pour ce faire, il faut effectuer des  évaluations. Le but premier d’une défiscalisation des biocarburants est  l’exploitation de leur potentiel de réduction de l’émission des gaz à effet de  serre. Aussi la première exigence environnementale posée à un allègement de la  charge fiscale des carburants est-elle la réduction du volume des gaz à effet  de serre émis. Voici les seuils utilisés pour la présente étude:
                             
                               - Diminution de 30 % au moins des gaz à       effet de serre émis par rapport aux produits fossiles de référence       (essence, EURO3)
Mais cette  réduction de gaz émis ne doit pas se faire aux dépens d’autres atteintes  environnementales, qui peuvent être diverses dans le cas des biocarburants.  Aussi une autre exigence importante de l’évaluation environnementale globale  consiste-t-elle dans le critère suivant:
                             
                               - Pas d’augmentation des charges       environnementales d’autres facteurs pertinents par rapport aux produits       fossiles de référence (essence, EURO3)
Le résultat de  l’application de ces deux critères apparaît à l’Illustration 4 (voir  ci-dessous), dans l’écobilan de la présente étude: treize biocarburants  entraînent une réduction de plus de moitié des gaz à effet de serre, dont cinq  sont produits à partir de déchets. Les diminutions les plus importantes sont  celles des biocarburants issus du lisier. Voici les autres carburants qui  entraînent une réduction de plus de moitié des gaz à effet de serre: le  biodiesel issu d’huiles comestibles, le méthanol et le méthane issus du bois et  le bioéthanol issu soit de biomasse du pays (herbe, bois, betterave sucrière,  lactosérum), soit de canne à sucre brésilienne, soit de sorgho chinois. Neuf  carburants (dont quatre issus de déchets) permettent une réduction de 30 % des  gaz à effet de serre. Ce sont notamment le biodiesel fabriqué à partir de  divers produits agricoles (huile de soja US, huile de palme MY, huile de colza  CH) et la fermentation de méthane biogène de divers déchets. Cinq carburants  alternatifs enfin dégagent des gaz dans une proportion qui est inférieure de  moins de 30 % à celle des carburants fossiles, voire, pour le biodiesel au soja  brésilien, dans une proportion légèrement supérieure à celle de l’essence.
                             Les émissions de  gaz à effet de serre sont corrélées avec la demande d’énergie cumulée mais non  avec les autres indicateurs environnementaux: pour ce qui est du potentiel de  smog estival (SMOG), les solutions tropicales présentent des valeurs élevées,  notamment parce que les surfaces agricoles sont issues du défrichement par  brûlis, ou – dans le cas du bioéthanol issu de canne à sucre – parce que les  feuilles sèches sont brûlées avant récolte. Il n’est guère surprenant de  constater que la fertilisation excessive (EUTR) joue un rôle plus important  dans les processus agricoles que dans les carburants fossiles. La canne à sucre  brésilienne comme l’huile de palme malaysienne montrent que ces facteurs  peuvent diminuer si l’usage des engrais est modéré et que les rendements des  surfaces sont élevés. L’écotoxicité (ETOX) montre à nouveau des valeurs élevées  pour les cultures issues de surface dégagées par brûlis; la cause en est une  évaluation de l’écotoxicité d’émission de l’acétone. Les seuls biocarburants  analysés dont les valeurs restent inférieures à celles de l’essence sont  l’esterméthylique issu d’huiles comestibles usagées, qui est produit en France,  et le méthane produit par des boues usagées ou les déchets biologiques.
                             En raison des  effets de la production agricole sur l’environnement, l’évaluation globale  (Illustration 5) de la production suisse de bioéthanol issu de lactosérum  indique une charge environnementale inférieure de 30 % (MSE 06) à 50 % (Eco  indicator 99) à celle de l’essence. Les autres filières suisses de bioéthanol  affichent des charges environnementales globales égales ou inférieures à celle  de l’essence. La production et l’utilisation de méthane biogène dégage une  charge globale pouvant être inférieure de 30 % (MSE 06) ou de 50 % (Eco  indicator 99) à celle de l’essence, même si les émissions de gaz à effet de  serre sont parfois plus élevées en raison des pertes de méthane. L’Illustration  5 présente en plus l’intervalle de confiance à l’intérieur duquel 95 % de  toutes les valeurs se situent. Cet intervalle prend en compte uniquement les  incertitudes dues à la collecte des données inventoriées (pour l’évaluation de  la consommation énergétique par exemple) et non pas celles dues à la méthode  retenue (par exemple la probabilité de l’apparition d’un cancer liée à  l’émission d’un certain taux de substances carcinogènes). Les incertitudes sont  faibles, surtout pour la méthode appliquée pour les MSE, mais aussi pour  l’évaluation des émissions de gaz à effet de serre. Elles n'entraînent que  rarement des changements dans les valeurs, (de vert à rouge ou inversement). En  raison de l’évaluation de l’exploitation des sols, qui est très incertaine,  pour des raisons de méthode principalement, l’évaluation Eco indicator de tous  les processus agricoles est elle aussi fortement incertaine.
                             Illustration 6 et  Illustration 7 synthétisent les émissions de gaz à effet de serre et  l’évaluation environnementale globale de tous les carburants considérés. La  zone verte signale une évaluation meilleure pour les deux valeurs que celle des  carburants fossiles de référence. Il apparaît ainsi qu’il existe pour tous les  types de carburants des filières de production qui se situent dans cette zone  verte, et que la plupart de ces filières «vertes» sont celles qui utilisent des  déchets ou des résidus. En raison de la présence, dans l’inventaire qui porte  sur la culture de la canne à sucre, du pesticide Daconate, à forte teneur en  arsenic, cette culture a une forte valeur en écotoxicité selon l’Eco indicator  99, d’où des évaluations MSE 06 et Eco indicator 99 qui diffèrent fortement  pour le bioéthanol issu de canne à sucre brésilien. Le grand écart observé pour  le bioéthanol issu de pommes de terre s’explique, lui, par la forte pondération  donnée à la perte de substances nutritives selon la méthode de saturation  écologique 06.
                             Quels sont les  effets de la production de carburants sur l’environnement mesurés à l’aune de  la surface agricole exploitée?
                             Illustration 8  montre quelle quantité de gaz à effet de serre est émise par hectare et par an  pour un kilomètre parcouru au moyen de la biomasse produite sur cette surface.  Des différences considérables apparaissent ainsi, en ce qui concerne tant  l’énergie produite que les émissions de gaz à effet de serre.
                             La meilleure performance  kilométrique est celle du bioéthanol produit par la betterave sucrière suisse,  dont le rendement à l’hectare est sensiblement le même que celui de la canne à  sucre brésilienne (70 t/an) pour une teneur en saccharose légèrement supérieure  en raison de sa teneur en fibre nettement moindre. Mais une comparaison de la  performance kilométrique à l’hectare avec le potentiel de gaz à effet de serre  à l’hectare met en évidence que le bioéthanol brésilien a le plus grand écart  avec la ligne de corrélation, et donc le meilleur rapport.
                             Si l’on compare  différentes formes de culture en Suisse, à savoir l’agriculture PI,  l’agriculture extensive et l’agriculture biologique, on constate que les pommes  de terre, le seigle, l’herbe et le colza produits en culture extensive dégagent  moins de gaz à effet de serre. Mais la performance kilométrique décroît  proportionnellement à la baisse des émissions gazeuses, de sorte qu’il n’est  guère possible de dégager des avantages nets.
                             Quelle est  l’utilisation de l’énergie produite qui soit la moins nuisible à  l’environnement?
                             Les agents  énergétiques biogènes comme le bois, le biogaz et l’éthanol permettent de  produire du carburant mais aussi de la chaleur et de l’électricité notamment.  Ces différents produits ne présentent pas tous le même intérêt écologique, car  ils remplacent chaque fois des parts différentes d’énergie produite par des  agents conventionnels, souvent fossiles. Aussi la présente étude a-t-elle  consisté, dans une deuxième étape, à mettre en évidence quelle utilisation  présentait les nuisances environnementales les plus faibles. Pour ce faire,  l’avantage net de différents agents énergétiques biogènes a été calculé au  moyen de la formule suivante:
                             L’unité  fonctionnelle utilisée pour cette analyse est une quantité déterminée d’un  agent énergétique biogène (1 kg  de lactosérum par exemple). Cette quantité permet de produire une quantité  déterminée d’énergie à des fins de chauffage, de production de courant  électrique ou de transport. La charge environnementale induite par cette  production et celle induite par la quantité d’énergie fossile ainsi remplacée  sont calculées puis intégrées dans la formule ci-dessus pour connaître  l’avantage net.
                             La présente étude  ne vise pas à étudier tous les usages possibles des agents énergétiques  biogènes mais se concentre sur les données issues de la première étape, dont  les possibilités d’utilisation déjà présentées dans la banque de données  ecoinvent. La comparaison est ainsi limitée aux agents énergétiques courants,  c’est-à-dire principalement aux agents fossiles.
                             Voici les  résultats de la comparaison de l’avantage pour ce qui est du potentiel de  réchauffement global et de l’évaluation globale (avec l’eco indicator 99 et la  méthode de la saturation écologique, version 2006), qui sont synthétisés pour  tous les agents énergétiques analysés. Le schéma coloré ci-dessous a été  utilisé pour ce faire:
                             Cette échelle  montre quel est l’avantage par rapport à la charge environnementale qui résulte  de l’utilisation de l’agent énergétique biogène secondaire. Comme l’on vise une  utilité nette positive, elle présente une asymétrie de 25% (exemple de calcul:  l’utilisation d’un kilogramme de déchets sous forme de carburant produit une  utilité nette de 0,13 kg  CO2-Eq. La charge nécessaire pour fermenter les biodéchets en méthane est de 0,39 kg CO2-Eq. Le calcul  est donc: 0,13 kg/0,39 kg, ce qui équivaut à 33%, qui se situe dans l’échelle à  la zone « ~ », comprise entre -25% et +50%).
                             Les résultats  présentés par,Illustration 9 qui concernent les émissions de gaz à effet de  serre sont à nouveau corrélées avec la consommation cumulée d’énergie (CCE). Le  plus souvent, l’avantage, de 50 % et plus, est supérieur aux nuisances de  l’agent énergétique biogène. Le bilan est moins positif pour les boues usagées  ou les déchets biologiques, à forte teneur en eau, car leur utilisation demande  en général une série d’étapes préalables de séchage qui font appel à  l’utilisation fossile.
                             Procéder à une  évaluation globale au moyen des méthodes Eco Indicator 99 et MSE 06 fait  apparaître un panorama légèrement moins favorable, comme le montre  l’Illustration 10. Il apparaît là encore qu’il n’est pas si simple de trouver  un agent énergétique biogène qui se démarque positivement aussi bien pour ce  qui est des émissions de gaz à effet de serre que globalement. C’est finalement  le lisier (lisier agricole) dont les résultats sont les meilleurs, puisqu’ils  sont considérés comme bons à très bons dans les deux méthodes. L’utilisation de  biodéchets s’avère par contre nettement moins positive, surtout en raison de la  diffusion de métaux lourds due à l’utilisation de lisier dans l’agriculture.
                             Une comparaison  horizontale, qui consiste à mettre en regard différentes utilisations  possibles, telles que CETE, carburant, etc., fait systématiquement apparaître  des aspects positifs mais aussi des aspects moins positifs, voire carrément  négatifs. Pour l’heure, la consommation cumulée d’énergie ne paraît pas très  efficace pour l’utilisation d’agents énergétiques biogènes secondaires.
                             Globalement, les  comparaisons font apparaître que le remplacement des traditionnels agents  énergétiques fossiles pa les variantes biogènes analysées dans la présente  étude a des conséquences positives sur l’émission des gaz à effet de serre.  Plus précisément, un tel remplacement diminue les atteintes environnementales.  Toutefois, beaucoup de variantes présentent, pour d’autres aspects écologiques,  des inconvénients par rapport aux solutions fossiles actuellement utilisées.  Bref, l’évaluation écologique globale ne présente pas un résultat qui  pencherait exclusivement en faveur des agents énergétiques biogènes, tant s’en  faut.
                             Conclusion
                             La présente étude  montre que la plupart des biocarburants sont pris dans une opposition entre  deux objectifs différents, la minimisation des émissions de gaz à effet de  serre d’une part et un bilan écologique global positif d’autre part. Car si de  nombreux biocarburants permettent de réduire de plus de 30 % les émissions de  gaz à effet de serre, la majorité de leurs filières de production présentent  pour plusieurs autres indicateurs environnementaux une charge environnementale  plus élevée que l’essence. Le transport, y compris l’expédition de biocarburant  en Suisse, joue un rôle mineur à cet égard, au contraire du mode de production,  dont l’impact est bien plus fort.
                             Le résultat  principal de la présente étude est de montrer que l'essentiel des atteintes  environnementales induites par les biocarburants sont causées par la culture  des matières premières utilisées. Pour l’agriculture des pays tropicaux, le  défrichage par brûlis des forêts tropicales, qui dégage de grandes quantités de  CO2, qui pollue l’air et qui détruit la biodiversité, est la principale source  d’atteinte à l’environnement. Des directives de certification des biocarburants  pragmatiques, qui intègrent cette dimension, à l’instar de celles du Forest  Stewardship Council (FSC), sont des plus souhaitables. Sous des latitudes  tempérées, ce sont en partie les bas rendements surfaciques, la fertilisation  intensive et la mécanisation qui induisent un bilan écologique défavorable. Il  s’agit ici de trouver un rapport équilibré entre le revenu énergétique et un  impact sur l’environnement limité, en procédant à une sélection judicieuse des  espèces et en suivant les récoltes. Le bilan environnemental peut également  être amélioré par l’utilisation énergétique des sous-produits agricoles, comme  la mélasse ou la paille de sorgho.
                             Il ressort de la  présente étude que l’utilisation énergétique dont le bilan est le meilleur est  celle des déchets, résidus ou sous-produits, d’une part parce qu’elle  n’implique pas les fortes nuisances provoquées par la préparation de matières  premières, d’autre part parce qu’il est possible de réduire les émissions  nuisibles à l’environnement qui résultent du traitement des déchets, comme la  pollution des eaux due au lactosérum ou les émissions de méthane, par la  fertilisation au moyen de lisier non fermenté. Les émissions de méthane,  parfois élevées, représentent un facteur critique pour la production et la  fabrication de biogaz. Là encore, des mesures ciblées sont la clé pour obtenir  de nettes améliorations du bilan énergétique global. Ces mesures peuvent bien  sûr consister dans de nouvelles installations, mais aussi dans l'exploration de  la piste d’une séparation plus efficace du CO2, pour laquelle des études  concrètes s’imposent.
                             L’utilisation  énergétique du bois présente de bons résultats, car les effets sur  l’environnement de la fabrication des matières premières sont très faibles. Une  technologie d’avenir pourrait consister dans la gazéification du bois, pour  autant que les émissions de méthane, qui accroissent l’effet de serre, puissent  être réduites par un processus mené dans un espace clos. Si de tels procédés  sont encore, bien sûr, de la musique d’avenir, ils ne sont pas dénués  d’intérêt, au vu des matières premières limitées et de la concurrence qui règne  actuellement dans les modes de mise en valeur.
                             Globalement, la  présente étude montre que la promotion des biocarburants, telle qu’elle  pourrait se faire sous la forme de rabais fiscaux par exemple, doit s’effectuer  de manière différenciée. Tout biocarburant ne produit pas nécessairement moins  d’effets sur l’environnement qu’un carburant fossile. Parmi les filières de  production, ce sont actuellement surtout la valorisation des déchets biogènes  et du bois ainsi que l’utilisation de l’herbe pour la production d’éthanol dont  les effets sur l’environnement sont moindres que ceux des produits fossiles de  référence. Toutefois, à la différence des carburants fossiles, il est possible  de réduire notablement, par des mesures ciblées, les effets sur l’environnement  des biocarburants. On peut escompter, au vu du potentiel d’optimisation, que  des évaluations plus pointues seront produites pour les différentes filières de  production. Par ailleurs, d’autres procédés récents, qui ne sont pas examinés  dans la présente étude, tels que le Biomass to Liquid (BTL) par exemple, ne  manqueront pas de prendre de l’importance.
                             Mais le potentiel  de la bioénergie suisse est limité et le restera. Une culture à large échelle à  des fins de production d’énergie nuirait à l’auto-suffisance alimentaire du  pays et, si elle était extensive, elle pèserait sur l’environnement. Les agents  énergétiques biogènes ne sont donc pas une solution à toutes les questions  énergétiques qui se posent à nous. Mais si l’on transforme de manière efficace  et écologique la biomasse disponible en énergie et que l’on réduit  simultanément la consommation en augmentant l’efficacité énergétique, ces  supports énergétiques de remplacement peuvent, combinés à d’autres formes  d’énergie renouvelables, jouer un rôle non négligeable dans notre  approvisionnement futur en énergie.